La naissance du Toit du Monde
Par Gérard VOYER
Co-fondateur et premier président du Toit du Monde
Noël 1972, la guerre fait rage au Bengladesh, et les typhons et raz-de-marée s’en mêlent : des centaines de milliers de morts. Le pays est exsangue. L’abbé Pierre lance un appel pour que toutes les communes de France se jumellent avec une bourgade du Bengladesh. Une petite équipe de 6 Poitevins s’envole vers Patiya, à l’est de Chittagong et Georges Charbonnier est de l’expédition.
C’est le choc ! La révélation de ce qu’est le Tiers-Monde, non plus dans les livres, mais dans la réalité. Et cela va devenir une onde de choc …
Au retour, c’est immédiatement la création du comité « Poitiers – Patiya », qui s’élargira en 1975 en Collectif Tiers-Monde, dont Georges devient le premier président. Une douzaine d’associations poitevines participent à ce collectif qui se donne pour objectif la sensibilisation aux problèmes du Tiers-Monde, l’analyse des causes du mal-développement, la dénonciation des responsabilités et la recherche de solutions.
Très vite, le Collectif Tiers-Monde prend conscience que le Tiers-Monde n’est pas seulement au-delà des frontières, mais qu’il est aussi chez nous sous la forme de l’immigration. C’est Georges, le premier, qui a l’idée d’une maison pour ces quelques 4 500 travailleurs immigrés et leur famille dans notre ville.
Au départ, elle devait s’appeler « La Maison du Tiers-Monde » avec comme objectifs :
– Permettre le rapprochement et l’enrichissement entre les différentes populations poitevines,
– Lutter contre toute forme d’intolérance, de sectarisme et de racisme,
– Favoriser l’expression, la reconnaissance et le partage des différences.
Le projet est présenté à tous les candidats aux élections municipales de 1977. L’écho est favorable et dès le 22 mai 1978, la nouvelle municipalité Santrot vote son soutien, qui ne se démentira jamais, par une subvention de 40 000 francs.
Les péripéties de cette gestation sont nombreuses : il faut trouver des sous (là, on fait confiance à Georges), un local assez grand, bien placé … et pas cher. On en visite pas mal ; on a cru longtemps pouvoir s’installer dans la Grand’Rue, mais au dernier moment, avant la signature, le propriétaire s’est rétracté, objectant que tous les étrangers feraient mauvais effet pour les activités du voisinage …
Déception, colère, nouvelles recherches. Et c’est comme ça que la Maison du Tiers-Monde, qui s’est trouvé un nouveau nom « Le Toit du Monde », va atterrir dans la rue des Trois Rois, au 31. Il y a là une bâtisse en ruine qui pourrait faire l’affaire, et qui rentre dans nos prix : l’agent immobilier parle de 50 000 francs. La rencontre avec le propriétaire remet tout en question : il en veut 100 000 francs. Nous ne les avons pas. Que faire ? Abandonner ? Pendant le week-end, Georges rencontre un ami qui offre spontanément de payer la différence !
Et voilà, c’est parti ! Nous sommes en avril 1979. La fin de cette année sera occupée aux premiers déblais, aux recherches de financements, aux études d’architectes et autres permis de construire.
Le coup d’envoi des travaux se fait en janvier 1980 : les bénévoles se relaient tous les week-end. Pas moyen de faire autrement : il n’y a au départ que 150 000 francs dans les caisses (dons et subventions). A la fin, il en aura coûté 975 000 francs, sans compter la main d’œuvre, entièrement bénévole.
En avril 1980, aux vacances de Pâques, un chantier des « compagnons-bâtisseurs » prend le relais. L’expérience sera renouvelée pendant les grandes vacances. Mais le chantier est énorme et ça n’avance pas vite. C’est l’arrivée des Volontaires à Long Terme (V.L.T.) des compagnons-bâtisseurs, pilotés par Jean-Luc Dussol, qui va sauver la mise. Les bénévoles continuent d’intervenir jusqu’à la décoration finale. L’électricité, par exemple, a été entièrement réalisée par un bénévole, André O. En avril 1982, tout est prêt.
Pendant les travaux, l’animation de cette future maison se met en place. D’abord la création de l’Association du Toit du Monde, comprenant les membres fondateurs, le Collectif Tiers-Monde (devenu ORCADES en 1986, puis KuriOz en 2010), l’A.P.I. (Accueil et Promotion des Immigrés) et les représentants des communautés étrangères. Gérard Voyer devient le premier président et Georges prend le titre de directeur. Il s’installe dans la petite maison bien connue, derrière le Toit. Là, défileront quantité de gens. Deux animatrices à mi-temps sont embauchées. On peut ouvrir.
C’est le 4 avril 1982 que François Autain, Secrétaire d’État chargé des immigrés, coupe le ruban et qu’une première grande fête dans la rue anime tout le quartier, prélude aux « Monde en Fête » qui suivront chaque année.
A partir de là, le Toit du Monde, sous la houlette de Georges, va multiplier les activités que tout le monde connaît, en direction des Poitevins du cru et des Poitevins d’origine étrangère. Son rayonnement s’étend sur toute la ville et bien au-delà : on vient d’un peu partout voir cette réalisation originale.
Notons parmi les visiteurs célèbres, un certain François Mitterrand, Président de la République, le 3 novembre 1983. Chaque communauté étrangère lui remet un présent de son pays d’origine.
Le 8 décembre 1990, c’est Claude Evin, ministre des affaires sociales et de la solidarité, puis des ambassadeurs, des consuls, des préfets … et tant d’autres. Et surtout, tous les jours, ce sont ces hommes et ces femmes, ces enfants, ces jeunes, pour qui le Toit a été dressé, qui viennent apprendre notre langue, apprendre leur langue, retrouver leur culture, chercher un loisir, chercher un défenseur, chercher à mieux s’intégrer, chercher une reconnaissance ou chercher à manger.
Toute une équipe merveilleuse de professionnels et de bénévoles a œuvré pour cela : l’esprit de Georges y était pour beaucoup. Parmi les très nombreux témoignages que j’ai pu lire dans le Livre d’Or, j’en retiens un qui ferait sûrement plaisir à Georges : « Ici, on trouve l’amour des hommes, pour tous les hommes ».
T’en fais pas Georges, ça continue !